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Les compléments alimentaires représentent une gamme extrêmement variée et hétérogène de produits englobant des suppléments en micronutriments (vitamines,minéraux), des actifs issus des plantes (stérols, isoflavones, caroténoïdes, policosanols, etc.), des actifs issus des animaux (squalènes, extraits de cartilage, etc.), les prébiotiques et les probiotiques, des peptides fonctionnels (MBP, etc.) des molécules inclassables (coenzyme Q10, bétaïne, oryzanol, etc.), des acides gras polyinsaturés (oméga 6, oméga 3, etc.) des acides aminés (tryptophane, glutamine, arginine, ornithine, etc.), auxquels il faudrait ajouter la phytothérapie. Ils sont caractérisés par leur origine ubiquitaire et par une législation les rapprochant des aliments et les distinguant des médicaments.
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De la sorte, ils n’ont pas d’effet thérapeutique sauf s’ils ont obtenus une AMM pour cela. C’est dire l’ambiguïté de leur positionnement. Mais répondant aux allégations nutrition – santé de l’EFSA, ils peuvent prétendre à des effets physiologiques bénéfiques pour la santé. C’est dire que la question des bénéfices/ risques de leur utilisation dans les pathologies ne devrait pas se poser car, dans ce cas, ce ne sont plus des compléments alimentaires mais des médicaments. Au sens strict, ils complètent l’alimentation en apportant en quantité supplémentaire ce que l’on y trouve. Cela suppose ou sous-entend que celle-ci soit inappropriée et non « corrigeable ». Mais nous ne sommes plus dans la pathologie mais possiblement dans la prévention. Présents naturellement dans l’alimentation normale, les composants des compléments alimentaires ont donc des effets, voire des rôles, physiologiques. Ces effets physiologiques sont attestés, pour les nutriments, (vitamines, minéraux, acides gras, acides aminés, etc.) par les conséquences de leur carence. Mais comment penser qu’il existe des effets mesurables en l’absence de carence. C’est la raison pour laquelle de nombreux effets ont été recherchés pour ces nutriments à dose pharmacologique… Mais nous ne sommes plus dans le cadre des compléments alimentaires… Le champ de la question est donc étroit et je me contenterai d’illustrer cette question de quelques exemples choisis… Hors sujet le plus souvent.
Bénéfice/risque au sens général
Les bénéfices sont à prouver. Les risques eux sont à observer.
Risque lié au prescripteur
À mon sens, le risque principal des compléments alimentaires est représenté par une perte de chance éventuelle :
• perte de chance par absence de diagnostic face à une fatigue, des manifestations fonctionnelles diverses, si le patient s’adresse à un non-médecin qui le conseille à tort ou à un médecin qui ne cherche pas la cause avec un examen médical réel et se contente d’une réponse que l’on aurait qualifiée autrefois de « stimulant, remontant, fortifiant, etc. »
• perte de chance par absence de traitement approprié face à une pathologie pour laquelle un traitement médicamenteux a fait ses preuves, et que le patient ne recevrait pas. C’est donc, dans ces cas, une question d’usage et de prescripteur et accessoirement seulement de produit. On citera, par exemple, la prescription du policosanol dont l’effet hypocholestérolémiant n’est pas prouvé, à la place d’une prescription de statines.
Risque lié au produit
Les risques liés au produit peuvent exister lorsque les doses prescrites font courir un risque. Longtemps cela a été ignoré, notamment pour les vitamines non toxiques, c’est-à-dire autres que les vitamines A et D, ou pour certains minéraux (fer par exemple). Or, on sait que les dose non nutritionnelles de certains micronutriments peuvent entraîner des risques : à forte dose, le fer est pro-oxydant et pourrait accroître le risque de cancer ou d’athérosclérose. Si sa prescription médicamenteuse est légitime dans les anémies par carence martiale, elle doit être strictement limitée à ce cadre et à des doses modérées. De même, les études d’intervention avec le bêtacarotène à forte dose, 15 à 50 mg/j au lieu des 6 mg conseillés, ont montré une augmentation du risque de cancer du poumon chez des sujets anciens fumeurs ou ayant eu une exposition à l’amiante. La supplémentation en vitamine E à forte dose (jusqu’à 1 200 UI pour des apports conseillés de 18 UI !) entraîne un surrisque. Mais, dans tous ces cas, nous sommes sortis du cadre des compléments alimentaires…
Bénéfice/risque en particulier
La question est extrêmement vaste tant est grande la variété des compléments alimentaires. Nous nous contenterons de prendre quelques exemples.
Acides gras oméga 3 et risque cardiovasculaire
C’est sans doute la situation où les données sont les mieux établies. Non seulement les arguments mécanistiques sont solides et il existe un faisceau cohérent d’études épidémiologiques d’observation, mais il existe au moins trois études d’intervention positives, les études DART, GISSI et JELIS. Les oméga 3 à une dose comprise entre 340 (EPA + DHA) (DART) et 1,8 g (EPA) (JELIS), ou 885 mg (EPA + DHA) (GISSI) diminuent le risque d’événements cardiovasculaires et de mort subite en prévention secondaire. Les mécanismes invoqués sont une diminution du risque de thrombose, soit par effet antiagrégant plaquettaire, soit par effet antiinflammatoire rendant la plaque moins vulnérable, et par un effet antiarythmique, le tout expliquant une rapidité d’action et une absence d’effet sur le cholestérol. À la dose de 885 mg, il existe un médicament ayant une AMM dans cette indication de prévention de la récidive d’infarctus du myocarde de moins de 3 mois. Il n’y a pas d’effet secondaire connu à ces doses très inférieures aux apports alimentaires des eskimos dans les années 1950-70. Les doses recommandées restent nutritionnellement accessibles.
Acides gras oméga 3 et dépression
Les oméga 3 peuvent influer sur un certain nombre de neuromédiateurs cérébraux en modifiant la fluidité membranaire, ils exercent aussi un effet antiinflammatoire (on sait maintenant qu’il existe une composante inflammatoire dans la dépression). Les données épidémiologiques sont également nombreuses, y compris des études ayant analysé la composition en acides gras tissulaires de sujets dépressifs. Plusieurs études d’intervention ont été réalisées qui montrent une amélioration de certains symptômes, à des dose d’acides gras oméga 3 élevées (1 à 6 g). Dans la plupart des cas le traitement antidépresseur a été maintenu. Les doses proposées sont peu accessibles nutritionnellement. À des doses > 2 ou 3 g/j, il existe un risque hémorragique théorique par allongement du temps de saignement et une tolérance digestive parfois moyenne.
Phytostérols et risque cardiovasculaire
Toutes les études montrent que les phytostérols ont un effet hypocholestérolémiant dosedépendant pour des apports qui vont de 300 mg à 3 g, les apports alimentaires observés se situant aux alentours de 300 mg/j. À 2 g/j, cet effet hypocholestérolémiant est d’environ 10 % sur le cholestérol-LDL. C’est une extrapolation qui a conduit à dire qu’il existe un bénéfice cardiovasculaire, car aucune étude d’intervention ne l’a démontré. Plusieurs études épidémiologiques d’observation ont montré que les sujets ayant des taux plasmatiques en phytostérols élevés avaient un risque cardiovasculaire accru. Des doutes existent donc. De plus, les phytostérols peuvent diminuer les taux plasmatiques des caroténoïdes et de certaines vitamines liposolubles, ce qui justifie d’accroître la consommation de fruits et légumes : un bon point !
Isoflavones de soja et ostéoporose
Les isoflavones de soja (daidzéine et génistéine) appartiennent à la famille des phytoestrogènes. Ils exercent des effets via une liaison avec les récepteurs α et β (préférentiellement) des estrogènes, mais exercent aussi des effets enzymatiques. Chez l’animal, les données sont en faveur d’un effet favorable sur l’os. Les données épidémiologiques sont inconstamment en faveur d’un effet protecteur, excepté en Asie où cet effet est constant, sans doute du fait d’une consommation précoce et importante. À des doses allant de 50 à 150 mg/j, les études d’intervention montrent des résultats variables, tantôt nuls, souvent positifs mais modestes si la durée d’intervention atteint ou dépasse deux ans, avec un effet différent pour les vertèbres ou le fémur. Il existe probablement de bons et de mauvais répondeurs que l’on a attribués à leur capacité ou non à produire de l’équol, un métabolite intermédiaire actif, mais cela n’est pas prouvé. L’interaction avec d’autres facteurs nutritionnels est à prendre en considération.
Micronutriments (vitamines et minéraux) et dégénérescence maculaire liée à l’âge L’hypothèse du rôle du stress oxydant dans la pathogénie de la dégénérescence maculaire liée à l’âge a conduit à la conception d’une très large étude d’intervention avec une supplémentation en vitamine E, vitamine C, bêtacarotène, zinc et cuivre, aux États-Unis, à des doses non nutritionnelles. Cette étude a montré des résultats positifs avec un ralentissement de la progression de la maladie aux stades 3 et 4. Il n’y a pas eu d’augmentation de la survenue de cancers.
Caroténoïdes xantophylles et pigment maculaire
La lutéine et la zéaxanthine (L et Z) sont des caroténoïdes présents dans l’alimentation. Ces sources sont assez peu nombreuses. La tagète (ou oeillet d’Inde) en est également riche. La macula est la zone la plus concentrée en L et Z qui constituent le pigment maculaire. Celui-ci joue un rôle de filtre optique protecteur vis-à-vis de la lumière bleue. Ces caroténoïdes exercent aussi un effet antioxydant local. Les études épidémiologiques indiquent que des apports élevés en L et Z sont associés à une diminution du risque de dégénérescence maculaire liée à l’âge. L’ingestion de L et Z entraîne une élévation de leur concentration plasmatique puis une incorporation dans le pigment maculaire. Les compléments alimentaires riches en L et Z ont une aussi bonne biodisponibilité que la L et Z des épinards. Des apports très élevés ne peuvent être atteints que grâce à des compléments alimentaires, mais il est possible que des teneurs plus basses soient aussi efficaces avec l’oeuf comme matrice, du fait de leur excellente biodisponibilité dans ce cas. Les études d’intervention sont en faveur d’un effet bénéfique sur le plan des capacités visuelles. Leur rôle en prévention reste à démontrer formellement.
Probiotiques et immunité/allergie
Le rôle de la flore intestinale dans l’immunité est de plus en plus établi, et son lien avec les allergies est probable. La composition de la microflore d’enfants est différente selon qu’ils sont ou non allergiques. Les probiotiques sont définis comme des microorganismes vivants qui, lorsqu’ils sont administrés en quantités adéquates, produisent un bénéfice pour la santé de l’hôte. Des études indiquent que des mélanges de souches probiotiques atténuent les symptômes d’infections virales des voies aériennes supérieures, et que des yaourts enrichis en probiotiques améliorent les symptômes subjectifs de l’allergie aux pollens. Une étude en cours de publication montre un bénéfice sur la prise de poids post-partum. D’autres travaux doivent être menés pour confirmer ces faits.
Prébiotiques et inflammation
Les prébiotiques sont des fibres subissant une fermentation colique aboutissant à une modification de la composition de la flore colique. Elles exercent des effets bénéfiques pour l’hôte. Parmi les effets, on note une modulation de l’inflammation systémique se traduisant par une baisse de la CRP liée à une diminution des cytokines de l’inflammation, via la réduction du lipopolysaccharide bactérien circulant. Les prébiotiques pourraient contribuer à améliorer l’inflammation de bas grade du syndrome métabolique et de l’obésité. Des études préliminaires indiquent que des effets favorables sur le poids pourraient survenir.
Polyphénols et stress oxydant
Les polyphénols correspondent à plus de 6 000 molécules différentes. Elles proviennent des plantes, et leur synthèse survient en réaction à des agressions comme système de défense. La plupart des polyphénols exercent des effets antioxydants in vitro. Les sources les plus abondantes sont les légumes et les fruits, le thé, le chocolat, le vin, les huiles vierges, etc. Cet effet antioxydant pourrait être impliqué dans les fonctions mitochondriales oxydatives et exercer un effet favorable sur le transport du glucose et donc son utilisation. L’autre impact, très bien démontré, est son rôle protecteur vis-à-vis de la dysfonction endothéliale, ce qui rendrait compte d’une protection cardiovasculaire.
Coenzyme Q10 et statines
Les statines ont un effet bénéfique établi sur la morbidité cardiovasculaire via une baisse du cholestérol-LDL. Toutefois, leur tolérance est très imparfaite avec un grand nombre de sujets présentant des douleurs musculaires, parfois insupportables, responsables de l’arrêt du traitement. Cela serait dû à une diminution simultanée du coenzyme Q10 intracellulaire. Cette molécule naturelle est également apportée par l’alimentation. À dose élevée, elle peut améliorer la tolérance des statines, comme l’ont bien démontré plusieurs études, mais on manque encore de recul sur le long terme. Ceci pourrait avoir un impact favorable sur le risque cardiovasculaire.
Policosanols et cholestérol
Les policosanols sont extraits de la canne à sucre. Ces molécules auraient un effet hypocholestérolémiant significatif, selon plusieurs études réalisées à Cuba. Toutefois, une récente étude américaine bien conduite ne l’a pas confirmé. Cette alternative ne peut être retenue aujourd’hui malgré une bonne tolérance.
MBP et os
Il s’agit d’un peptide fonctionnel du lait qui semble doté, in vitro et in vivo, chez l’animal, d’effets bénéfiques sur l’os. Des études cliniques japonaises, réalisées par une même équipe, l’ont suggéré. Mais une étude américaine récente ne l’a pas confirmé. D’autres travaux sont souhaités. Extrait de poudre d’arêtes et hydrolysat de cartilage.
Nous avons pu démontrer que des compléments alimentaires à base de ces coproduits riches en calcium sont capables d’exercer des effets aussi puissants, voire plus, que le calcium laitier sur la calcémie, et réduisent efficacement la PTH, ce qui diminue la résorption osseuse et pourrait potentiellement être bénéfique pour l’os.
Acide gamma linolénique
L’acide gamma linolénique est un acide gras polyinsaturé de la série oméga 6. Il est doté d’effets anti-inflammatoires par la voie des PGE1. Plusieurs études cliniques ont montré des effets favorables dans le syndrome prémenstruel, l’eczéma, les neuropathies diabétiques à des doses relativement élevées. On le trouve essentiellement en concentration élevée dans l’huile de bourrache, d’onagre et de pépins de cassis.
Acides aminés et dénutrition
Certains acides aminés spécifiques ont des effets métaboliques, tels l’ornithine ou l’arginine, ou des effets trophiques, telle la glutamine. À dose élevée, ces acides aminés sont de véritables médicaments, utiles dans la dénutrition ou les pathologies digestives. Cependant, des effets adverses sur l’immunité peuvent survenir dans certaines conditions, c’est le cas avec l’arginine, précurseur du NO (oxyde nitrique). Ils doivent être manipulés avec précaution.
Chrome et diabète
Le chrome est un cofacteur dans l’insulinosensibilité et intervient donc dans la tolérance au glucose. Plusieurs études épidémiologiques et cliniques ont suggéré qu’il puisse avoir des effets biologiquement mesurables au cours du diabète et du syndrome métabolique. Cela n’a cependant pas été confirmé dans les études récentes et les revues les plus complètes. Sa toxicité aux doses recommandées étant quasi nulle, il peut être utilisé, mais les preuves de son efficacité réelle manquent.
Magnésium et diabète
Au cours du diabète, les causes de déficit en magnésium sont nombreuses, surtout s’il est déséquilibré. Des études épidémiologiques ont montré qu’un déficit en magnésium était souvent associé au diabète. Plusieurs études cliniques montrent qu’une supplémentation orale peut améliorer certains paramètres métaboliques et cardiovasculaires (HTA) au cours du diabète, et peut-être aussi l’équilibre glycémique.
Conclusion
Ces quelques exemples, non exhaustifs, montrent que certains compléments alimentaires peuvent avoir un intérêt dans la prévention ou le traitement de certaines pathologies. Ces effets sont limités mais ne sont pas inintéressants. Il convient de les aborder un à un (composé par composé, effet par effet pour bien les analyser). Les études sont encore très insuffisantes et imparfaites mais elles ne sont pas inexistantes. Sans excès ni rejet, il faut poursuivre les travaux. Ces travaux nous renvoient bien sûr aux effets des aliments et donc de l’alimentation. Le plus important reste, de loin, de manger, de bien manger. Cependant certains compléments alimentaires pourront trouver leur place dans certaines indications.
Pr LECERF, chef de service du service nutrition de l’Institut Pasteur de Lille,
article publié le 15/02/2012 dans le Journal International de Médecine.
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